L'homéopathie en mouvement

Comment devenir homéopathe ! Par André Saine -1-

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Pour arriver à maîtriser une discipline, il nous faut partir de ses bases 
Interview du Dr. Saine, N.D., F.C.A.H. 
(Révisé—March 2001)

L’interview suivant a été réalisée en janvier 1994 à Vienne par deux membres de la LIGA, les Drs. Friedrich Dellmour et Gerhard Willinger, qui ont discuté avec le Dr. Saine de questions fondamentales sur l’Homéopathie lors d’une visite du Dr Saine en Autriche.

André Saine est diplômé du Collège National de Médecine et de Naturopathie de Portland, Oregon et de l’Académie Homéopathique des Médecins et Naturothérapeutes. Il enseigne et donne des conférences d’Homéopathie depuis 1985. Un des points principaux de son travail en clinique est le traitement des patients souffrant de maladies chroniques très graves. En plus de la gestion de son cabinet médical à Montréal, Canada, il est le Doyen et le principal enseignant du programme de formation complémentaire de l’Académie Canadienne d’Homéopathie depuis 1986.

Q: Qu’est-ce qui vous a décidé à étudier l’homéopathie ?

A.S.: En 1976, au début de mes études, un de nos professeurs, le Dr. Joseph Bonyun, avait à la fin de ses abréviations professionnelles les lettres Hom. Je lui ai demandé ce qu’elles voulaient dire et il me donna une brève explication et me dit : “Si vous voulez savoir ce que cela signifie, venez à mon cabinet — Je consulte les Mardi et Jeudi en soirée et les Samedi.” Je m’y suis rendu et un des premiers patients que le Dr. Bonyun a vu ce soir-là était un dermatologue d’environ 45 ans qui avait de l’eczéma pratiquement depuis l’enfance. Ce patient était très sceptique et ne cessait de répéter qu’il ne croyait pas à l’homéopathie mais voulait l’essayer car deux de ses patients avec des pathologies similaires à la sienne avaient été traités avec succès par le Dr. Bonyun. Ce dermatologue avait utilisé toutes sortes de crèmes pour supprimer son éruption, et le Dr. Bonyun lui prescrivit Zincum metallicum 10 M. En très peu de temps, le dermatologue vit son eczéma s’étendre sur tout son corps avant de voir une grande amélioration en moins de six semaines. Dès que j’ai découvert l’homéopathie, je me suis dit : “c’est ce que je veux étudier.” Dr. Bonyun était fils et petit-fils d’homéopathe. Sa mère était diplomée du Hahnemann Medical College de Philadelphie et son grand-père avait été homéopathe en Angleterre.

Q: Quels ont été vos enseignants en homéopathie ?

A.S.: Le Dr. Bonyun a été le premier à m’encourager à étudier l’homéopathie. Pendant mon internat, nous avons étudié ensemble des cas cliniques. Puis j’ai étudié avec de nombreux enseignants parmi lesquels on peut citer Robin Murphy, Bill Gray, George Vithoulkas, Francisco Eizayaga et John Bastyr. Le Dr. Bastyr lui aussi faisait partie de la troisième génération d’homéopathes à partir de Lippe. Son professeur était C. P. Bryant (qui a été, en 1939, Président de l’Association Hahnemannienne Internationale). C. P. Bryant avait reçu l’enseignement de Walter James qui avait été l’un des plus proches disciples de Lippe.

En fait, mes véritables professeurs, ceux qui m’ont appris le plus, sont les grands maîtres du passé. Je les ai découverts en lisant les publications éditées de leur temps. En 1980, je suis entré au Collège National de Médecine Naturopathique de Portland, Oregon, pour étudier l’homéopathie. Là, j’ai passé une grande partie de mon temps dans la bibliothèque qui contenait plus de 2000 volumes sur l’homéopathie. Ils avaient une merveilleuse collection d’anciennes revues telles que le ‘Homœopathic Physician’ (édité par Edmund J. Lee et Walter James, deux proches de Lippe), le ‘American Homœopathic Review’ (édité par Carroll Dunham et P. P. Wells), le ‘Hahnemannian Monthly’ (édité par Adolph Lippe), le ‘Medical Advance’ (édité par H. C. Allen), les Comptes rendus de l’Association Hahnemannienne Internationale, etc. Les meilleures revues classiques du XIX° siècle réunies au même endroit.

Dès que j’avais du temps, je me retrouvais dans la bibliothèque à lire ces vieilles revues. Ce fut vraiment une révélation. Plus je lisais, plus je réalisais que ce que l’on m’avait enseigné en cours et ce qui était écrit dans les livres modernes était le témoin d’une perspective complètement différente de celle que je lisais dans ces anciennes revues. Deux méthodes différentes de procéder, de pratiquer, une déductive, dépourvue de toute rigueur scientifique, laissant chacun agir selon sa fantaisie, alors que l’autre avait des fondations principalement scientifiques, inductive. Plus j’étudiais les anciens auteurs, plus je réalisais que la communauté homéopathique moderne s’était presque complètement coupée de ses racines. Plus j’étudiais, plus je réalisais que les véritables maîtres avait été très peu nombreux. Même si la plupart d’entre eux ont déjà été oubliés, nous avons encore leurs écrits pour les étudier. Si nous voulons maîtriser une discipline, quelle qu’elle soit, nous devons commencer à en étudier les origines.

De bien connaître l’histoire de l’homéopathie m’a permis de la comprendre en profondeur. Lorsque nous connaissons notre histoire, nous pouvons savoir d’où nous venons, où nous sommes actuellement et où nous devons aller. En étudiant l’histoire de l’homéopathie, j’ai réalisé que chaque génération d’homéopathes débattrait autour de polémiques remontant aux siècles précédents. N’est-il pas vrai qu’en ne connaissant rien de notre histoire, nous nous condamnons à la revivre ?

En 1983, j’ai décidé de relire la littérature homéopathique afin de retrouver les perles oubliées actuellement depuis longtemps. J’ai relu la littérature américaine, qui est la plus importante, la littérature britannique, française, et même espagnole et italienne, et aussi les traductions des meilleurs articles allemands. Je n’aurais pas pu recevoir meilleure instruction de nos jours. J’ai redécouvert l’œuvre d’Hahnemann à travers les travaux et l’expérience de praticiens qui l’ont comprise. J’ai trouvé dans cette littérature d’autrefois mes meilleurs professeurs, et parmi ces maîtres d’autrefois, celui qui m’a appris le plus a été Adolph Lippe.

Q: Pourquoi Lippe tout particulièrement ?

 

A.S.: Tout d’abord, parce qu’il a beaucoup écrit. C’est probablement celui qui a écrit le plus dans les revues ; en cinquante années de pratique, il a publié environ 500 articles. Ce qui veut dire que Lippe devait écrire un ou plusieurs par mois et certains d’entre eux de plus de 20 pages. Mais si la masse de sa production a été extraordinaire, la qualité de son œuvre l’était aussi. Je ne pense pas qu’il y ait eu quelqu’un d’autre dans la littérature homéopathique dont la qualité de l’œuvre écrite ait pu égaler celle de Lippe depuis le début de l’homéopathie. Il a été le plus fidèle disciple d’Hahnemann. Dans son œuvre, sur une période de cinquante années, il a affirmé ce qu’Hahnemann avait trouvé cinquante ans plus tôt ; à travers ses écrits, il a prouvé la grande véracité de la loi des semblables et validé les enseignements d’Hahnemann jour après jour dans sa pratique.

Personne dans l’histoire de l’homéopathie ne s’est approché de Lippe quant à ses succès thérapeutiques. Une fois, pendant un séminaire, nous avons repris les cas où il avait échoué sur une période de deux ans, en 1878 et 1879. Nous avons trouvé qu’il avait perdu sept patients très âgés qui étaient venus le consulter très tardivement avec des maladies chroniques comme des cancers ou des tuberculoses, mais pas un seul patient durant ces deux années n‘était décédé d’une maladie aigue — et c’était tout à fait remarquable dans une période où il y avait des épidémies de scarlatine, de typhoïde et de diphtérie. Ces maladies épidémiques avaient habituellement un fort taux de mortalité — souvent supérieure à quarante pour cent dans la diphtérie. Parfois, certaines diphtéries malignes avaient une mortalité pouvant atteindre 60-65 pour cent, quelquefois plus encore. Il était un prescripteur extraordinaire, sans aucune comparaison.

Dans la ville de Philadelphie, on savait qu’il avait la plus grosse clientèle et le plus de réussite dans sa pratique médicale — et c’était la ville où Hering avait lui aussi vécu et pratiqué. Il était le meilleur de sa génération et l’est resté tout sa vie durant. Maintenant, lorsque nous regardons les cahiers cliniques d’Hahnemann et de Bœnninghausen, nous pouvons mieux comprendre pourquoi Lippe était considéré comme “le meilleur prescripteur que notre école n’ait jamais eu.” Lippe semblait s’être investi dans la pratique de l’homéopathie mieux encore qu’Hahnemann lui-même.

Q: Il y a eu de nombreuses écoles et de méthodes homéopathiques. Vous avez comparé une fois son développement à celui d’un séquoia. Pouvez-vous expliquer cela plus en détail ?

A.S.: Le séquoia est un arbre qui peut vivre très vieux, jusqu’ à trois mille ans, sa base est très large, et son tronc croit en s’amincissant au sommet. Maintenant, je compare sa base à l’enseignement d’Hahnemann : nous progressons dans notre science, nous ajoutons de nouvelles connaissances à ce qui est déjà présent, mais la plus grande partie du savoir est déjà acquise, la base est large. Ce tronc est aussi solide que peut l’être la vie. C’est ce qui constitue la pratique d’homéopathie pure. Ce tronc ne s’accroit qu’en ajoutant une nouvelle couche en périphérie. Le cœur de l’arbre ne change jamais. De façon similaire, l’homéopathie pure est fondée sur une loi qui est immuable. Il y a également des branches qui se développent à partir du tronc — sans le tronc, il ne peut y avoir de rejetons à l’homéopathie.

Sur un séquoia, les branches ne vivent jamais aussi longtemps que le tronc — les branches les plus basses tombent et meurent alors que de nouvelles branches apparaissent au sommet.

 

Je compare ces branches aux différents “rejetons” ou “parasites”— de l’homéopathie :

 

l’isopathie de Lux,

les basses dilutions et les remèdes spécifiques de Griesselich,

la prescription selon la pathologie et la matière médicale physiologique de Hughes,

les polypharmacistes,

les complexistes,

les alternistes,

les organopathistes,

les éclectiques,

le Schuesslerisme,

le Swedengorgisme de Kent et la matière médicale synthétique.

Plus tard, nous avons vu les nosodes intestinaux et les Fleurs de Bach

 

Aujourd’hui, nous avons

 

les électrodiagnostiques,

les matières médicales futuristes et fantaisistes,

l’établissement de folies miasmatiques,

les seulement très haut dilutionnistes,

et même le Catholicisme supra Kentien!

Toutes ces démarches s’écartent de la méthodologie d’Hahnemann fondée sur un raisonnement strictement inductif. Mais de même que les nouvelles branches au sommet du séquoia, elles attirent beaucoup de monde, et beaucoup se prennent d’enthousiasme pour ces nouvelles approches.

Cela nous rappelle l’avertissement célèbre de Trousseau :

 

“Traitez autant de patients que vous le pouvez avec les nouveaux remèdes tant qu’ils ont encore le pouvoir de guérir.”

 

A mesure que l’arbre se développe, ces branches tombent et meurent pour être remplacées par de nouvelles. Ce qui reste fondamental, c’est le tronc, le fondement de l’homéopathie basée sur la méthodologie par induction pure d’Hahnemann. C’est ce qui perdure et continuera toujours à croître.

 

Trop nombreux sont ceux qui ont oublié l’avertissement qu’Hering à écrit lors de la publication de son dernier article :

 

“Si notre école oublie un jour la méthodologie d’Hahnemann toute basée sur l’induction, nous serons perdus, et ne mériterons que d’être mentionnés comme une caricature dans l’histoire de la médecine.”

 

Parfois, il nous semble que c’est presque devenu une compétition à qui sera le plus original, et qui, par mégarde deviendra la meilleure caricature. Désolé, camarades ! Il y a d’autres domaines que celui de la médecine pour faire le pitre.

Q: Quels étaient les homéopathes qui ont réellement suivi — et suivent —Hahnemann, au cours de l’histoire et actuellement ?

A.S.: Nous ne connaissons bien sûr que ceux qui ont laissé des écrits. J’ai fait une étude très minutieuse de l’histoire et de la littérature homéopathique, et tout particulièrement, bien sûr, le “chapitre” américain de l’histoire homéopathique, et j’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’y avait qu’un très, très petit nombre à véritablement maîtriser l’homéopathie. Si vous considérez Hahnemann lui-même, c’était un scientifique, un expérimentateur, il a fait une énorme contribution à la médecine, mais en tant que praticien, comme on peut le voir dans ses cahiers cliniques, il n’a pas été capable de concrétiser tout ce que promettait l’homéopathie. Peut-être est-ce lié au fait qu’il ait fait autant d’expérimentations?

Mais si nous faisons une étude des homéopathes qui ont véritablement appliqué l’enseignement d’Hahnemann, mieux qu’Hahnemann lui-même, ils ont eu des résultats phénoménaux. Ce furent les seuls à réellement maîtriser les aspects cliniques de l’homéopathie. Lippe, bien sûr, en est une fois encore le meilleur exemple. Hering fut probablement celui qui fut le second d’Hahnemann pour ce qui est du plaisir personnel qu’il a pris à développer l’homéopathie ; il a participé au moins à 106 provings, dix de moins seulement qu’Hahnemann. Il n’a pas été le premier homéopathe en Amérique, mais avec William Wesselhoeft, il a été un des fondateurs de l’école américaine d’homéopathie. A la mort de Hering en 1880, Lippe a écrit dans son article à sa mémoire que l’école américaine d’homéopathie avait perdu son père.

De cette école, outre Adolph Lippe, sont sortis des homes tells que P. P. Wells, Joslin, Carroll Dunham, Edward Bayard, H. N. Guernsey, Constantine Lippe (le fils d’Adolph), Nash, E. W. Berridge, H. C. Allen, Earnest and Harvey Farrington (père et fils), Yingling, etc. Très peu dans l’histoire de l’homéopathie ont vraiment maîtrisé leur discipline et très peu ont compris tout l’enseignement d’Hahnemann — le potentiel réel de l’homéopathie a donc très rarement été pleinement réalisé. Les homéopathes dont j’ai mentionné les noms ont fait partie de l’âge d’or de l’homéopathie américaine.

En Europe, nous avons eu Bœnninghausen, Nuñez et Jahr qui ont très bien compris l’homéopathie et aussi Thomas Skinner (un disciple de Berridge), David Wilson en Angleterre. Plus tard, il y a eu une résurrection de bonne homéopathie grâce à Pierre Schmidt, qui est venu en Amérique pour suivre une formation avec deux disciples de Kent, Frederica Gladwin et Alonzo Eugene Austin. Il est ensuite retourné en Europe et a inspiré toute une génération d’homéopathes à travers le monde.

La plupart des leaders les plus récents en homéopathie ont été des disciples de Pierre Schmidt tels Jacques Baur, Jost Künzli, Jacques Imberechts, Robert Bourgarit, Horst Barthel, Will Kunkler, Tomas Paschero, D. Harish Chand, etc. Son influence s’est étendu au delà de l’Europe, jusqu’aux Amériques et en Inde. En Amérique du Nord, Elizabeth Wright-Hubbard, F.K. Bellokossy et Roger Schmidt (le frère de Pierre) comptaient aussi parmi les étudiants de Pierre Schmidt. Nous devons nous rappeler que Pierre Schmidt a été le fondateur de la Liga en 1926.

Je répète encore une fois que très peu sont ceux qui ont vraiment maîtrisé l’homéopathie. Lippe fut un de ce petit nombre qui parvint à la maîtriser d’un point de vue clinique. Il a mené quelques provings aussi, bien sûr — mais surtout, il a pratiqué l’homéopathie selon les enseignements que nous a donnés Hahnemann, au point que l’on peut dire qu’il a vraiment maîtrisé le sujet de l’homéopathie clinique. Hering a été un maître qui a associé au mieux la théorie et la pratique de l’homéopathie, de même que Bœnninghausen, quoiqu’à un moindre degré.

L’école américaine d’homéopathie a laissé au XX° siècle se créer l’International Hahnemannian Association grâce au travail d’Adolph Lippe ; elle a été “l’enfant” de Lippe. C’est le célèbre discours de Carroll Dunham en 1870 qui a en fin de compte ouvert la porte aux médecins de quelque école qu’ils soient issus sans se soucier qu’ils pratiquent ou non l’homéopathie, et leur a permis de rejoindre l’American Institute of Homœopathy. Lippe a enjoint les Hahnemanniens à créer une nouvelle association afin de préserver l’homéopathie pure. Dix ans plus tard, juste avant la mort d’Hering en 1880, l’International Hahnemannian Association a été créée. De 1881 jusqu’en 1959 ces Hahnemanniens se sont réunis chaque année pendant 3-4 jours pour parler des articles qui seraient plus tard publiés comme Compte-rendu de l’International Hahnemannian Association. Cette association a joué un rôle crucial en réunissant les Hahnemanniens et en donnant un nouvel élan à la pratique et à la défense de l’homéopathie.

Si Lippe n’avait pas travaillé pendant cinquante ans à défendre l’homéopathie, l’école américaine serait probablement défunte, et dans ce cas, Pierre Schmidt n’aurait pas existé. A mon avis, dans cette hypothèse, La véritable homéopathie aurait complètement disparu. De la même manière, si Hahnemann n’avait jamais existé, l’homéopathie n’aurait probablement jamais été découverte. Ce qu’Hahnemann a fait et découvert, est si unique, si extraordinaire. Et si Lippe n’avait pas existé, ses enseignements auraient été perdus, non seulement en Amérique mais aussi dans le reste du monde. C’est mon opinion, mais il y a de nombreux témoignages dans la littérature homéopathique pour soutenir cette possibilité.

Il est intéressant de reprendre l’histoire de l’homéopathie en Europe depuis Hahnemann. Il y a eu un déclin dans l’ensemble, même s’il y a quelques niches dans presque tous les pays d’Europe où nous pouvions trouver une homéopathie de bonne qualité. En Amérique, il en fut de même grâce à Hering et Wesselhoeft qui ont fondé une école de très haute qualité. Comme la demande de médecins homéopathes augmentait, de nombreuses écoles se sont ouvertes. Nous pouvons dire qu’en règle générale plus le nombre d’écoles est grand, pire est l’enseignement, au point que très peu de diplômés étaient capables de pratiquer l’homéopathie avec succès. Nous voyons donc que la survie de l’homéopathie a été très précaire : moins de deux pour cent des diplômés étaient capables de pratiquer une bonne homéopathie. Et cela parce qu’ils ne la comprenaient pas, en raison de la piètre qualité de leur enseignement.

Q: Quelles ont été, selon vous, les raisons du déclin de l’homéopathie en Amérique et dans l’ensemble du reste du monde pendant ces cent dernières années ?

A.S.: J’ai suivi l’évolution de l’homéopathie très attentivement et je peux vous dire que le mouvement “dégressif” a commencé tout particulièrement en Amérique. Nous pouvons situer son début en 1845 avec la première traduction de Julius Hempel de l’œuvre d’Hahnemann. Ses contresens et son interprétation des textes d’Hahnemann, aussi bien que son enseignement, ont conduit à la confusion et il a été responsable de l’introduction dans l’homéopathie d’une manière de penser plus allopathique et réductionniste.

C’est de là que cela a démarré, mais ce mouvement n’était pas très important jusqu’en 1870, lorsque Carroll Dunham a fait son fameux discours devant l’American Institute of Homœopathy intitulé “Liberté de l’Opinion et de l’Action Médicale : une Nécessité Vitale et une Grande Responsabilité.” En fait, ce discours a donné aux pseudo-homéopathes toute liberté de pratiquer leur éclectisme. Quatre ans plus tard, en 1874, le terme homéopathie n’était plus considéré comme une condition essentielle pour devenir membre de l’American Institute of Homœopathy. Le motif initial de Dunham était noble probablement mais s’est révélé naïf à posteriori. Il a affirmé, “laissez-les pratiquer comme bon leur semble, et ils seront convaincus en fin de compte que la véritable homéopathie est l’unique manière de pratiquer.” Lippe, en réponse au discours de Dunham, a demandé si les homéopathes devaient suivre des principes ou leur opinion comme les allopathes. Il a affirmé que puisque similia similibus curantur est une loi, nous ne devons pas avoir la liberté de pratiquer contrairement à la loi, si nous nous prétendions homéopathes.

Ce qui est arrivé en fin de compte, c’est que les pseudo-homéopathes ont eu toute facilité à appeler homéopathie la méthode qu’ils pratiquaient et enseignaient. Comme Lippe l’avait prédit, les sociétés et les écoles s’en trouvèrent affaiblies. La survivance de la véritable homéopathie était en danger. Le déclin s’est poursuivi. Ainsi, en 1885, par exemple, lorsque T. F. Allen, alors Président de l’American Institute of Homœopathie et Doyen du New York Homœopathic Medical College, a dit qu’il n’y avait aucune preuve de la puissance de l’infinitésimal, ce n’était qu’un dogme. La majorité des membres de l’American Institute of Homœopathy qui étaient des pseudo-homéopathes étaient alors tout près de rejoindre le clan des “officiels”, c’est-à-dire, les allopathes.

Dans les sociétés et les écoles, les principes fondamentaux de l’homéopathie n’étaient même plus enseignés. La qualité de l’enseignement dans les écoles en Amérique du Nord est allée en se détériorant. Ce n’était plus dès lors qu’une question de temps avant le déclin et la disparition de ses institutions.

L’homéopathie était devenue très populaire en Amérique du Nord à son début du fait de ses succès étonnants obtenus par la “vieille garde” durant les épidémies — épidémies de diphtérie, scarlatine, choléra, malaria, fièvre jaune —tout particulièrement la fièvre jaune ; la mortalité dans cette maladie atteignait 55% avec le traitement allopathique, mains était inférieure à 5% dans les cas traités par homéopathie ; et c’était le même résultat dans le choléra. C’est là que l’homéopathie avec la “vielle garde” a obtenu ses lettres de noblesse. L’homéopathie était donc devenue très populaire, aussi bien dans le public que chez les hommes politiques. Pour un médecin, c’était souvent plus porteur d’être reconnu comme homéopathe que de pratiquer l’allopathie.

En 1880, il y avait à peu près quinze écoles différentes d’homéopathie et la création de nouvelles écoles suivaient la demande croissante en médecins homéopathes. Mais très peu de médecins suivaient une véritable formation en homéopathie classique et étaient capables de la pratiquer convenablement. La majorité pratiquaient donc une homéopathie “associée” avec de l’allopathie. En conséquence, lorsque nous entendons dire qu’au changement de siècle, il y avait 15 0000 homéopathes aux Etats-Unis, c’est tout simplement faux ; il y en avait probablement moins de deux cents à essayer de pratiquer une homéopathie classique. Les autres étaient des “mixopathes” ou des médecins qui avaient été diplômés d’écoles homéopathiques, mais qui ne faisaient pas l’effort de pratiquer une homéopathie classique. Un tel diplôme ne signifiait pas que vous aviez suivi une véritable formation en homéopathie. Pour vous donner un simple exemple : Nash, que nous admirons tous pour ses “Leaders” a affirmé que lorsqu’il suivait les cours du Western College of Homœopathic Medicine à Cleveland dans les années 1860, il n’avait non seulement jamais lu l’Organon, mais il n’en avait jamais entendu parler.

Vers 1880, il y avait environ 6000 praticiens homéopathes en Amérique, et parmi ceux-ci, 4800 étaient diplômés d’écoles homéopathiques. Savez-vous combien d’exemplaires de l’Organon ont été vendus depuis la publication de la première édition américaine en 1836? Environ 600 exemplaires — au total ! De plus, un assez grand nombre de ces Organons ont été achetés par des profanes, car des médecins comme Lippe conseillaient à leurs patients de lire l’Organon. On peut ainsi affirmer que moins de dix pour cent des diplômés des écoles de médecine homéopathique possédaient un exemplaire de l’Organon ! Beaucoup d’entre eux n’en avaient jamais entendu parler. Le vrai problème, bien sûr, était celui de l’enseignement.

L’homéopathie devient une science extrêmement difficile à apprendre et à pratiquer avec de bons résultats lorsque manque la rigueur lors de son enseignement. Lors d’une conférence sur l’enseignement de l’homéopathie, il m’est arrivé d’être assis à une table avec douze autres médecins, dont la plupart étaient également spécialistes dans d’autres domaines. Si je me souviens bien, il y avait deux psychiatres, un neurologue, un cardiologue, deux spécialistes en médecine interne et un radiologue — ils avaient tous fait de longues études dans des domaines difficiles et exigeants, mais tous affirmaient que l’homéopathie avait été sans aucun doute la plus difficile à apprendre. Cependant, aucun d’entre eux n’avait suivi une formation en homéopathie aussi complète que celle qu’ils avaient suivie dans leur spécialité. Pour leur formation homéopathique, ils avaient tous dû aller piquer des éléments ici ou là. Et cela a toujours été le problème — le manque en homéopathie d’une bonne qualité d’enseignement. Pourquoi ? Parce que nous n’avons personne qui maitrise assez le sujet pour l’enseigner correctement.

En Amérique, on ne manque pas d’institutions, mais comment peut-on espérer recevoir un enseignement de qualité si aucun des enseignants ne maitrise leur discipline ? Il nous faut une base solide pour commencer. Sinon, nous sommes dans un cercle vicieux, une spirale descendante. C’est depuis le début le problème en homéopathie. Il y a trop peu d’enseignants à maîtriser suffisamment leur sujet, ce qui permettrait aux diplômés d’appliquer avec de bons résultats les principes de l’homéopathie. Dans le même temps, des imposteurs comme Hempel se sont emparés des chaires d’enseignement, et ce furent les aveugles qui menèrent les aveugles. Ce n’est pas très différent, aujourd’hui, l’histoire ne cesse de se répéter.

Q: Selon vous, que devrait comprendre une véritable formation en homéopathie ?

A.S.: Dans l’idéal, ce serait une formation où un étudiant, avant même d’incorporer une école de médecine, devrait recevoir un bon enseignement général en lettres et en sciences humaines, et tout particulièrement une formation très solide en philosophie. Hahnemann a évoqué ce sujet dans un article intitulé l’Observateur en médecine dans la seconde édition de sa Materia Medica Pura. Dans cet article il affirme qu’un bon jugement et la capacité d’observer avec attention ne sont pas des qualités innées mais doivent s’acquérir grâce une bonne éducation ainsi qu’une formation correcte. Il écrit que l’étude du latin classique et des auteurs grecs est essentielle pour développer ces qualités.

 

De façon similaire, Hering a enseigné à ses étudiants à l’Académie d’Allentown que les médecins pouvaient apprendre comment examiner leur patient aussi bien en étudiant Socrate qu’Hippocrate. Accessoirement, Hippocrate a dit que l’aspect le plus difficile de la pratique médicale est le jugement. Il en est de même aujourd’hui. L’étude des Lettres et des Sciences humaines avec de solides notions de philosophie est essentielle pour préparer le futur médecin à développer son jugement en développant une ouverture d’esprit et un raisonnement sain et critique, un sens historique et la capacité de décrire ses propres perceptions avec précision, afin d’être capable d’agir avec soin et intelligence. Une fois parvenu en médecine, on devrait enseigner à l’étudiant la philosophie de la médecine ce qui l’encouragerait à développer une compréhension générale et critique de l’étude et de la pratique médicale.

 

 

L’étude de la médecine devrait avoir trois objectifs principaux :

 

Former des médecins afin qu’ils soient capables de faire de très bons diagnostics. Non seulement être capable de reconnaître le processus pathologique, mais aussi le type de maladie de façon globale et depuis son origine. Etre capable de rechercher non seulement tous les symptômes mais aussi toutes les circonstances, les facteurs, les influences et les étiologies impliquées. Etre capable d’individualiser en permanence.

 

Pour atteindre son objectif, l’étudiant en médecine doit étudier les sciences biologiques fondamentales — anatomie, physiologie, histologie, etc.— avec une importance toute particulière pour la microbiologie, la génétique, l’hygiène et la psychologie, toujours dans la perspective d’une vision globale, ce qui permet une compréhension globale de la nature humaine et de la relation dynamique de l’homme avec son environnement. Puis il se penchera sur l’étude de la pathologie, l’étude des signes et symptômes, les diagnostics différentiels, une prise d’observation complète et attentive ainsi qu’un examen clinique. Ce n’est qu’alors que la science des diagnostics prendra sa pleine importance. En apprenant à avoir un bon diagnostic, et par conséquent en étant capable de reconnaître les causes fondamentales du processus pathologique à son début et de donner des conseils à son patient afin de vivre une vie favorisant une bonne santé. Le troisième objectif serait de s’assurer que le médecin reçoive la formation nécessaire lui permettant de maîtriser la thérapeutique, et surtout, l’homéopathie, la science des thérapeutiques.

En commençant la première année de l’école de médecine, les étudiants apprendraient la philosophie de l’homéopathie, le répertoire, la matière médicale des remèdes aigues, la prescription dans les cas aigus et les premiers soins. Ils commenceraient également à observer la pratique de praticiens qualifiés et expérimentés.

En seconde année, ils complèteraient ce qui n’a pas été étudié durant la première année et débuteraient l’étude de la prescription dans les cas chroniques et leur matière médicale. En consultation, ils participeraient à des prises d’observation et à l’examen du patient sous contrôle.

Au cours de la troisième année, ils poursuivraient leur étude de la prescription dans les affections chroniques et en consultation, commenceraient la gestion de cas avec un superviseur.

En quatrième année, ils complèteraient leur formation homéopathique en étudiant ses applications dans des spécialités diverses telles que la pédiatrie, la gynécologie, l’obstétrique, la neurologie, la psychiatrie, la cardiologie, etc. A ce point, les diplômés en médecine auraient fait environ 2400 heures de formation didactique et 2400 heures de formation clinique. Ils pourraient alors opter de passer un ou plusieurs années en tant qu’interne dans un hôpital. Là, ils pourraient travailler en ayant une formation particulière avec les praticiens les plus expérimentés et compétents de notre profession, approfondir leurs connaissances, parfaire leur habilité clinique et faire de la recherche.

 

Par la suite, on demanderait aux jeunes diplômés d’avoir encore 50 à 100 heures de formation continue pendant les 4 à 5 années suivantes. Il y a des sujets en homéopathie qui ne peuvent être abordés qu’après quelques années de pratique. Ce pourrait être aussi l’opportunité pour les jeunes diplômés d’apporter leurs cas les plus difficiles à leurs professeurs, peut-être même de participer à un staff clinique avec un nombre d’heure prévu à cet effet, où ils pourraient observer le travail sur ces cas d’homéopathes très expérimentés ; c’est ainsi qu’ils pourront eux-mêmes devenir des experts. Ce serait l’ultime étape de leur formation où la compétence serait transmise des maîtres aux étudiants les plus doués.

 

Dans le domaine des autres thérapies, complémentaires à l’homéopathie, on pourrait leur donner en parallèle, des formations sur la psychothérapie, l’hydrothérapie, la médecine physique, etc. C’est ainsi que l’on donnerait à ce médecin une formation complète, lui permettant d’être préparé à traiter les cas les plus difficiles qu’ils soient aigus ou chroniques, un médecin réellement compétent en médecine classique. Après une telle formation et environ cinq à dix ans de pratique, on leur aurait donné toutes les opportunités de maîtriser leur discipline. Malheureusement, ce type de formation n’a jamais été proposé et c’est ce qui explique qu’il n’y ait qu’un si petit nombre à avoir véritablement maîtrisé l’homéopathie.

 

On en était très près lorsque Lippe a dirigé l’Homœopathic Medical College de Pennsylvanie dans le milieu des années 1860. Sous sa direction, l’ensemble du corps enseignant a partagé la même compréhension de l’homéopathie et a offert une formation harmonieuse. Parmi les enseignants, outre Lippe, il y avait Hering et Guernsey. Lorsque nous regardons la liste des diplômés de ces années, nous trouvons une liste de noms sans précédent tels que Constantine Lippe, E. A. Farrington, T. L Bradford, E. W. Berridge et Walter James, qui tous ont apporté de grandes contributions à notre profession. Un jour, très vite, je l’espère, nous serons capables d’offrir un système satisfaisant de formation à nos étudiants.

 

Q: Quelles sont les exigences que doivent remplir un excellent médecin homéopathe, quel type de personnalité doit-il (ou elle) avoir ?

A.S.: La première nécessité est une personnalité bien équilibrée. Si cela fait défaut, son déséquilibre se reflètera dans sa manière d’aborder ses études, de mettre en application la médecine, de traiter ses patients. L’équilibre, c’est la santé, en particulier la santé émotionnelle. Sinon, ce pourrait être une expérience très difficile autant pour le médecin que pour le patient. Une bonne connaissance de soi est également indispensable — plus le médecin se connaît lui-même, plus il ou elle sera capable de progresser dans la maitrise de l’homéopathie, moins d’erreurs il ou elle fera, moins son ego le perturbera.

 

La médecine est un art et une science conçus pour aider nos contemporains. C’est un service rendu par un homme à un autre ; beaucoup semblent avoir perdu le véritable but de la médecine, qui n’est pas de servir les médecins ou d’enrichir les entreprises pharmaceutiques. C’est principalement un service rendu à l’humanité. Le médecin, tel un scientifique, doit aborder la pratique de la médecine avec une grande humilité — il ou elle doit avoir une formation, une connaissance de soi solide ; il ou elle doit toujours avoir envie d’apprendre, de faire des recherches sur la nature. Le mot “physician” médecin – vient du mot grec “phusis” dont la signification est nature, par conséquent, le médecin est celui qui cherche à comprendre la nature, ses principes et ses lois et comment les mettre en application dans la santé et la maladie.

 

Deux exigences de base sont obligatoires : largeur d’esprit, et en même temps, sens critique envers l’observateur et ce qui est observé. Comme le disait Hahnemann, doutez de votre propre pouvoir de compréhension. Aussi, en réponse à votre question, je dirai que les exigences de base pour devenir un bon médecin homéopathe seraient d’avoir une grande connaissance de soi, une solide santé et d’aborder la médecine et l’homéopathie avec humilité et objectivité. Si nous, médecins, laissons s’immiscer notre ego et nos préjugés, notre aptitude à observer la nature telle qu’elle est et mettre ses principes en application sera biaisée. Et cela retarde notre progression dans la science de l’homéopathie.

 

Q: Quelle est la bonne attitude que devrait avoir un médecin homéopathe envers un patient, quel devrait être son état d’esprit ?

A.S.: En tant que médecins, nous devons avoir la compassion. Si nous n’en avons pas, nous ne serons jamais vraiment de bons médecins. Si nous pratiquons notre art principalement pour faire de l’argent, il vaudrait mieux entrer dans le monde des affaires — c’est plus facile. Donc, ce qui est essentiel avant tout est la compassion — nous traitons notre prochain comme nous désirions être traités nous-mêmes. Le patient est le “roi” ou la “reine” dans notre cabinet. Nous sommes là pour eux, et non l’inverse. C’est l’attitude de base. Notre ego ne devrait pas s’interposer entre nos patients et nous, ainsi qu’Hahnemann nous l’a conseillé. Alors que notre intelligence et notre cœur devraient être sans réserve à la disposition de notre patient, un bon comportement envers les malades est un art qui est tout à fait primordial pour une pratique de la médecine pleine de réussite. Nous devrions aussi vouloir constamment apprendre de nos patients. Nous devrions toujours nous souvenir que chaque patient que nous voyons, contribue à notre perfectionnement. Chaque patient est un individu, présentant un caractère unique, qui est là aussi pour notre apprentissage. La pratique de la véritable homéopathie est l’un des meilleurs professeurs qui soient, car, en essayant d’appliquer en toute circonstance une loi de la nature, faire une erreur, tricher, être paresseux ou faire semblant ne peut que mener à l’échec car le bon choix nécessite d’être très précis.

 

Si nous laissons des préjugés s’immiscer entre notre observation et nous, notre perception des phénomènes naturels sera faussée et nous ne serons plus capables d’observer la nature telle qu’elle est. C’est la principale raison de nos échecs dans la pratique de l’homéopathie. Donc, à chaque fois qu’est faussée notre perception de la réalité ou que nous faisons une erreur de jugement, un échec en sera la conséquence et malheureusement, dans les pires cas, ce peut être une “fatale erreur,” une expression souvent utilisée par Lippe pour décrire tout écart de la véritable homéopathie. En effet, de n’avoir pas réussi à appliquer correctement et à respecter la loi des semblables, nous pouvons être responsables du décès de patients. En homéopathie, donc, si nous sommes incapables d’être objectifs, si nous avons une tendance à être influencé, à formuler des avis, des idées fantasques, des conclusions, des explications et des extrapolations, nos pensées nous empêchent de percevoir avec justesse la réalité. Il n’est donc pas surprenant que nous soyons incapables d’obtenir les résultats escomptés de l’homéopathie. Pour une raison ou pour une autre, nous avons tous cette tendance de penser que nous ne connaissons pas, au lieu d’acquérir le réel savoir. Nous ne pouvons pas duper la nature et c’est pourquoi il faut une formation solide, c’est pourquoi les étudiants doivent recevoir un bon enseignement, afin d’obtenir les merveilleux résultats en suivant la loi telle qu’elle est.

 

Pierre Schmidt avait l’habitude de dire que l’homéopathie nous offre de nombreuses et de grandes satisfactions dans la vie. Premièrement, car c’est un défi intellectuel. Deuxièmement, c’est une joie pour le cœur, car nous aidons des gens qui souffrent. Et troisièmement, c’est un très bon moyen de gagner sa vie et celle de nos familles. Je voudrais ajouter une quatrième raison, l’homéopathie est aussi un grand professeur, peut-être le meilleur de tous, car il nous apprend à appliquer la loi de la nature. C’est elle qui nous corrige en permanence. Les symptômes du patient constituent le langage de la nature, ils nous disent, à nous médecins, ce que nous devons connaître. Si nos perceptions nous induisent en erreur, ainsi le seront également nos actions, ce qui compromettra la guérison rapide de notre patient. Nous devrons donc en permanence nous corriger, réorienter notre navigation au premier signe d’errance, afin de continuer à faire route dans la bonne direction. Si nous sommes passionnés pour apprendre tout en pratiquant l’homéopathie, nous deviendrons plus avisés en essayant constamment de nous conformer à la nature. La sagesse, par essence, est la quête permanente du bon ou du chemin approprié.

 

Q: Quelle est la meilleure façon d’étudier la matière médicale ?

A.S.: Tout d’abord il nous faut étudier seulement des sources fiables. Hahnemann nous a montré la voie en intitulant son premier grand ouvrage sur la matière médicale, Materia Medica Pura. Pura car la matière médicale doit être fondée uniquement sur de véritables observations, exemptes de toute opinion, conjecture ou fantaisie. Maintenant, la matière médicale doit avant tout être fondée sur des provings en incluant des cas d’intoxication ; on y ajoutera les symptômes guéris qui sont la vérification des expérimentations. Voilà ce qui constitue la base de la matière médicale pure d’Hahnemann. Comme cette matière médicale est devenue volumineuse, il a fallu l’aborder d’une façon systématique, sinon ce serait tout à fait excessif. De nombreux professeurs de matière médicale ont abordé ce problème, souvent de manière très contradictoire. La meilleure méthode, à ma connaissance, est la méthode diagnostique de Hering telle qu’il l’enseignait à ses étudiants à l’école d’homéopathie d’Allentown dans les années 1830.

 

Nous pouvons aborder la matière médicale de la même façon que vous pourriez approcher n’importe quelle science de la nature, telles que la géologie, la botanique, la zoologie ou l’entomologie dans laquelle tout est classifié par comparaison. Combien de temps pensez-vous que cela prendrait à un entomologiste expérimenté pour classer un insecte que l’on vient de découvrir ? Seulement quelques secondes — en comparant, différentiant et classifiant les caractéristiques de ce nouveau spécimen. En étudiant la matière médicale avec la méthode diagnostique, nous débuterions avec un seul remède, un des remèdes les plus souvent prescrits, et nous lirions autant de sources fiables possibles. Nous commencerions avec le proving, qui serait étudié très attentivement, puis compléterions ceci avec l’expérience clinique de prescripteurs sûrs, et en fin avec des cas guéris. Puis nous prendrions un autre remède souvent prescrit qui serait le plus proche du remède étudié précédemment et ferions une comparaison des deux et essayerons de les différentier. Nous ferions la même opération avec un troisième et ainsi de suite. Nous pourrions faire une série de douze remèdes très souvent utilisés dans les cas aigus et une autre série de douze remèdes très souvent utilisés dans des cas chroniques. Ainsi, le praticien connaitrait très bien un nombre limité de remèdes et serait immédiatement capable d’en reconnaître un lorsqu’il serait indiqué, ou lorsque ce n’est aucun de ceux-ci. Nash, dans sa monographie sur Sulphur, écrivait qu’ “un seul remède bien étudié est bien préférable que plusieurs à moitié compris.” En pratique, en choisissant le remède le plus similaire, vous devez souvent faire la différence entre trois ou quatre remèdes. En général, deux ou trois de ces derniers font partie des remèdes les plus souvent utilisés.

 

Q: Pourriez-vous nous donner quelques exemples ?

A.S.: Pour les remèdes les plus souvent utilisés dans les cas aigus, on pourrait commencer avec Belladonna, suivi par Aconitum, Bryonia, Rhus toxicodendron, Arsenicum album, Apis mellifica, Hepar sulphur, Ferrum phosphoricum, Gelsemium, Nux vomica, Ignatia amara, Chamomilla. Pour les remèdes les plus souvent utilisés dans les cas chroniques, Lippe recommandait à ses étudiants de débuter avec Lycopodium — qui est un très bon remède pour commencer car il présente un tableau très caractéristique — puis nous pourrions continuer en le comparant avec Pulsatilla ; puis étudier Sepia et le comparer aux deux premiers, car ils sont très proches sur quelques points. Puis vous étudierez Natrum muriaticum, Phosphorus, Sulphur, Lachesis, Calcarea carbonica, Silica, Staphysagria, Aurum metallicum, Platina, et ainsi de suite, l’un après l’autre, toujours en comparant leurs similarités et leurs différences non seulement les uns après les autres, mais aussi avec d’autres remèdes partageant des symptômes semblables, en les comparant et les individualisant en permanence. C’est l’intérêt du diagnostic, de connaître la différenciation à l’aide de la distinction.

 

Le plan de ces conférences sur la matière médicale serait similaire à la Matière Médicale Clinique de Farrington. Avec cette méthode, plus vous étudiez de remèdes, moins vous aurez besoin de temps pour étudier les remèdes complémentaires. Lippe a une fois dit que tous ceux qui avaient véritablement maîtrisé notre matière médicale l’avaient étudié selon cette méthode — la méthode diagnostique de Hering. Selon ma propre expérience, je me suis rendu compte que la meilleure façon de préparer une conférence de matière médicale est, avant tout, de lire le texte original du proving, si possible, tout particulièrement s’il est dans l’ordre chronologique. C’est souvent possible dans le cas de provings qui se sont déroulés en Amérique. Nous obtenons des informations précises sur ce qui est survenu, à quelle heure du jour, et nous pouvons ainsi suivre l’évolution des symptômes. Nous n’avons pas toujours de tel proving. La majorité des matières médicales suivent le plan d’Hahnemann qui s’appuie sur l’ordre anatomique plutôt que chronologique. De toute façon, c’est toujours très important d’étudier les symptômes originaux du proving pour avoir une bonne appréciation de tableau symptomatique de départ. C’est tout à fait fondamental pour une étude sérieuse de la matière médicale. Un proving bien conduit avec des expérimentateurs sensibles mettra en valeur les symptômes les plus caractéristiques, son “génie.” Et c’est ce qui est important. En lisant un remède, nous cherchons à percevoir son génie, sa nature, ce qui est le plus caractéristique, étrange, ce qui l’identifie. En général, Hahnemann donnait un aperçu du génie d’un remède dans l’introduction, ou en soulignant en gras les symptômes les plus frappants. Après la lecture du proving, je lis les confirmations cliniques à partir d’auteurs fiables — le terme fiable est important ! — et ensuite, j’en découvre habituellement beaucoup plus sur le remède.

 

Q: Pouvez-vous nous donner un exemple ?

A.S.: Tous les symptômes caractéristiques ne seront pas nécessairement découverts durant le proving. Prenons, par exemple, le symptôme vomissement alimentaire après réchauffement dans l’estomac. Ce symptôme n’est pas retrouvé dans la Materia Medica Pura ou dans les Maladies Chroniques ; d’où vient-il donc ? Il provient de Lippe qui l’a observé chez un patient et l’a rapporté. Depuis, il a été souvent confirmé et est devenu un symptôme guide.

 

A mesure que nous faisons des recherches, chaque portrait de remède va évoluer et devenir plus complet lors des provings ultérieurs et lors des ajouts liés à l’expérience clinique du remède. C’est l’idée qui sert de lien aux Guiding Symptoms de Hering, une matière médicale fondée sur la vérification des provings tels qu’on les a retrouvés chez le malade. Dans les provings, nous trouverons les symptômes les plus purs et primitifs qui tendent à être les plus fonctionnels, les symptômes de la maladie au début, alors que chez le malade, nous trouverons également le dernier stade de la maladie, les symptômes les plus organiques. Donc, lorsque je prépare une conférence de matière médicale, je commence avec Hahnemann ou le proving initial, puis je continue avec l’Encyclopédie de la Matière Médicale Pure de Allen, puis avec les Guiding Symptoms de Hering, puis je lis les auteurs sûrs — Lippe, Guernsey, Nash, Dunham, Earnest Farrington, etc., enfin je finis avec les auteurs plus contemporains tels que les Pulfords (père et fils) et Harvey Farrington (le fils d’Earnest). Enfin, je rassemble tous les cas que je peux trouver venant d’auteurs fiables et de ma propre pratique pour compléter et illustrer l’exposé. Maintenant nous avons quelque chose qui se tient. C’est la meilleure façon que j’ai trouvé pour étudier la matière médicale.

 

Q: Cette liste d’ouvrages sûrs de matière médicale que vous venez juste de nous donner est-elle exhaustive, ou y en a-t-il d’autres à ajouter ?

A.S.: Je dirais qu’une liste exhaustive devrait inclure Hahnemann, Lippe, Guernsey, Nash, Allen, Hering, Farrington. Quoiqu’avec Earnest, le père, nous devons être très prudent, nous devons exclure tous les aspects physiologiques. Là, il faisait fausse route. Au vingtième siècle, il n’y a pas beaucoup d’auteurs qui soient fiables. William Boericke n’était pas forcément le meilleur homéopathe mais il a été beaucoup lu et ce qu’il a écrit était fiable même s’il a peu écrit. Clarke a été également très lu. Son Dictionnaire est bon pour ce qui est de son premier chapitre intitulé “Caractéristiques” dont on peut se servir comme une introduction du remède. Les anecdotes rapportées contribuent à créer des images vivantes, facilitant la représentation du remède. Le reste de sa matière médicale n’est pas aussi intéressante. Les Pulfords — père et fils — ont pratiqué dans l’Ohio pendant environ quatre vingts ans. Ils ont été de très bons homéopathes et on peut se fier à leur matière médicale. Harvey Farrington a été l’un des derniers enseignants sérieux de matière médicale. Ses exposés étaient tout à fait dignes de foi. Pierre Schmidt, également, était digne de confiance. Il ne se servait pas beaucoup de sa propre expérience clinique pour faire des ajouts à la matière médicale, mais il a fait des ajouts à partir de ses lectures. Il possédait une très bonne bibliothèque et il était capable de s’inspirer de ce matériel fiable, tandis que les Pulfords et Harvey Farrington tiraient surtout parti de leur expérience. Herbert Roberts a fait aussi d’intéressantes lectures, il avait beaucoup d’expérience et il était un bon observateur. Boger faisait partie de la même catégorie.

 

Q: Et Kent?

A.S.: Oh! Beaucoup de ce qu’il a été écrit n’était pas du tout fiable, mais même les experts ne le savent pas toujours. Par exemple, tous ses remèdes synthétiques ne sont pas du tout dignes de confiance à mon avis.

 

Q. Pourriez-vous expliquer ce que sont les remèdes synthétiques ?

A.S.: Les remèdes synthétiques sont des remèdes comme Alumina silicata, Aurum arsenicum, Aurum iodatum, Aurum sulphuricum, etc. Vous prenez deux remèdes bien expérimentés, vous étuudiez leurs provings et alors vous dites : “Qu’arriverait-il si on les associait les uns avec les autres ?” Avec les remèdes synthétiques, vous remarquerez que Kent débute en général avec quelque chose comme “les symptômes de ce remède se produisent le matin, dans la matinée, l’après-midi, le soir, la nuit et après minuit” ; puis vous passez au remède suivant et vous voyez une aggravation “le matin, la matinée, l’après-midi et la nuit” et ainsi de suite ! On ne peut donner absolument aucune crédibilité à ces prétendus provings. Kent n’était pas probablement trop marqué par le paragraphe 144 de l’Organon où Hahnemann écrit que “tout ce qui est hypothèse spéculative, assertion gratuite ou fiction, soit sévèrement exclu de cette matière médicale. On n’y doit trouver que le langage pur de la nature interrogée avec soin et bonne foi.”

 

Kent a publié ses remèdes synthétiques dans un petit journal appelé la Critique dont il faisait partie du comité d’édition. Dans son éditorial de Décembre 1907, il promettait pour l’année suivante douze nouveaux remèdes, un par numéro de ce journal mensuel. C’est ce qu’il a fait jusqu’en Juin 1908 où C. Allen and W. P. Waring l’ont vivement critiqué. Tous deux étaient membres de l’International Hahnemannian Association et impliqués comme Kent dans l’enseignement de l’homéopathie à Chicago. Après cette critique, contre laquelle Kent ne s’est pas défendu, il n’a plus jamais publié d’autre remède synthétique, y compris ceux qu’il avait promis. Il a continué de proposer des articles à la Critique mais pas des articles sur la matière médicale. Lorsqu’il a publié la seconde édition de ses Conférences de matière médicale homéopathique en 1911, il n’y a inclus aucun des remèdes synthétiques qui avaient été publiés entre 1904 et 1908 (la première édition de ses Conférences de Matière Médicale a été publiée en 1905). Sur ce point, Hahnemann avait été très clair dans le premier paragraphe du Génie de L’art de Guérir Homœopathique, publié dans chaque édition de sa Materia Medica Pura et qu’il considérait comme un de ses articles les plus importants. Il y écrit qu’il serait absurde de lutter contre la maladie avec des propriétés imaginaires de médicaments.

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